Karim Wade et les réseaux d'argent
Karim Wade et les réseaux d'argent
La réfection de la Pointe de Sangomar devait coûter 15 milliards, selon
les anglais de SF aviation. On avancera finalement le chiffre de 17
milliards. A l'été 2002, maître Abdoulaye Wade avait indiqué, dans une
interview accordée à la télévision nationale, face à tous les
Sénégalais, que l'avion n'a pas coûté un seul sou au contribuable, et
que ce sont ses « amis » qui ont payé la confection de sa « Super 27 ».
Une année plus tard, quand le scandale a éclaté suite à la parution du
livre de Latif Coulibaly, le président de la République « avouera » à
François Soudan, venu l'interviewer à Dakar, que finalement, l'Etat
n'aurait déboursé que 10 milliards, le reste ayant été payé par ses
amis arabes et taïwanais.
Dix milliards tirés de différents fonds qui devaient aller
à l'Agriculture et aux infrastructures routières, sans aucun Loi de
finances rectificative. Dans n'importe quel autre pays, un tel aveu
aurait, en lui seul, fait scandale. Mais au fil des discours et des
investigations, il apparaîtra que ce chiffre avancé par maître
Abdoulaye Wade cachait mal un énorme scandale. Puisqu'au total, l'Etat
a dégagé pour le paiement de sa Super 27 un total de 20 milliards, soit
3 milliards de crédits. Une différence de 3 milliards donc, un surplus
que personne ne peut évidemment pas trouver ou expliquer, au moment où
on s'évertue à compter le nombre de poteaux électriques installés à
Thiès. Il s'avère, assez curieusement, que cet argent est tombé dans un
compte d'une banque londonienne, la Barclay Bank où Karim Wade a eu à
travailler.
Quand on y ajoute les contributions des arabes et des
taïwanais, on arrive presqu'au double des montants « avoués » par
maître Abdoulaye Wade, soit 30 milliards. Beaucoup plus que ce
qu'aurait coûté un Boeing neuf. Tout cet argent a disparu dans des
conditions tout au moins ambiguës, entre réseaux et amis, dont le
réceptacle direct est le fils du président de la République.
Il y a quelques jours, l'Etat du Sénégal a choisi comme
adjudicataire principal la société londonienne De La Rue, pour la
confection des cartes numérisées et les cartes d'électeur, pour un
marché qui est passé en un temps record, de 7 à 22 milliards de francs
Cfa, dans des conditions qui défient le bon sens. Là aussi, une
entreprise suédoise avait approché les autorités sénégalaises, et
proposait des conditions beaucoup plus avantageuses pour l'Etat
sénégalais. Elle s'est entendue dire qu'il fallait qu'elle prenne les
attaches du fils du président de la République. Finalement, elle a
assisté, impuissante, à un combat entre géants français et
anglo-canadiens, remporté par les derniers cités.
Ce qui est scandaleux, ce n'est même pas l'attribution du
marché, quelque soient par ailleurs les dénonciations de quelques «
petits » sénégalais laissés en rade dans cette affaire. C'est qu'en
2002, la Banque mondiale avait financé un projet qu'il avait confié à
Amadou Top d'Ati. Le matériel avait été logé au ministère de
l'Intérieur. L'Etat a refusé de prendre une offre aussi intéressante
qui, si elle avait été acceptée, lui aurait permis de gagner de
l'argent, et non d'en perdre. C'est cette offre que l'Etat vient de
refuser, pour « offrir » plusieurs milliards de francs à une société
londonienne privée. Ce que la Banque mondiale se proposait de faire,
dans le cadre du programme de modernisation des systèmes informatisés
de l'Etat. Une vive polémique avait été engagée à l'époque entre
l'ancien ministre de l'Intérieur, le général Niang, et les services
proches du Président de la République, dont son conseiller en
informatique ami de Karim Wade et fils du ministre de la Justice Pape
Ousmane Sy.
C'est ce dernier qui a révélé, de
Tunis, le choix porté sur BMCE Capital Afrique, filiale de Bmce Bank,
pour l'attribution de la troisième licence de téléphonie mobile. Un
plan B pour le fils du président de la République, puisque le retrait
de la Licence de Sentel avait vraiment été envisagée, sous le prétexte,
encore entretenu, qu'elle avait été bradée par le régime de Diouf en
1999. En avril 2001, Karim Wade m'avait révélé que les responsables de
la société lui avaient proposé la somme de 2 milliards, pour s'occuper
des « besoins » de la famille. Mais dans le cadre de l'attribution de
cette troisième licence, le moins que l'on puisse dire est qu'il y a
nécessairement conflit d'intérêt, puisque Maroc télécoms est une des
sociétés intéressées par la nouvelle licence, dont les premières
propositions se chiffreraient à 20 millions de dollars, avec en plus
une licence pour l'Internet et le téléphone fixe.
Evidemment, après son voyage en août 2004 auprès du roi
Mohamed VI, où il a rencontré Mohamed Ben Ali et Ali Bongo, Karim Wade
avait nié toute participation à Maroc Télécoms. Mais l'arrivée des
marocains dans ce secteur ne serait qu'un pas de géant de plus des
sujets de Mohamed VI dans la cour, déjà remplie, d'Abdoulaye Wade. Ils
y côtoient un autre groupe londonien, choisi comme Conseiller juridique
de l'Etat, MC Kinsey. Les marocains sont déjà les plus grands
bénéficiaires de la privatisation d'Air Sénégal à hauteur de 51 %,
contrôlent la navigation maritime entre Dakar et Ziguinchor, et
s'intéressent à la liaison Dakar-Gorée.
Ces « affaires » ne sont rien, comparées à ce qui a été au
cœur des discussions entre Karim Wade et Samuel Sarr à Paris lors de la
« disparition-apparition » de maître Abdoulaye Wade. Il s'agit de la
privatisation d'un secteur aussi stratégique que l'électricité de la
Sénélec. Cette privatisation a aussi été confiée à la même banque
marocaine, la BMCE, dirigée par l'ami de Karim Wade Adnan Chamanti.
Officiellement, il s'agit d'une privatisation qui va faire
des travailleurs de la Sénelec des actionnaires de leur entreprise.
Mais au lieu de céder les actions directement aux clients et aux
travailleurs, il est prévu la création d'un fonds mutuel des
consommateurs et d'un fonds de pension des travailleurs qui seront mis
en place non pas par ces derniers ou les autorités en relation avec les
associations de consommateurs, mais par Samuel SARR en relation avec
BMCE Capital, le Cabinet Mazard et des partenaires financiers sur
lesquels le Dg de la Sénélec se montre peu loquace, bienque tout
indique qu'encore une fois, ce sera une banque de Londres. Madické
Niang et Samuel Sarr ont séjourné en août 2005 dans la capitale
anglaise, à la rencontre des banques impliquées dans la privatisation.
Ce sont ces banques qui vont prêter de l'argent aux « petits
travailleurs » pour l'achat d'actions à un prix très bas, justifié par
le fait que les travailleurs et les clients constituent des couches
sociales très sensibles.
Le pari serait que, soit les fonds ne pourront pas être
mis en place avec tous les contraintes imposées par la réglementation,
soit parce que les souscriptions seront insuffisantes pour plusieurs
raisons dont la situation financière désastreuse de l'entreprise.
Alors, l'emprunt déjà souscrit par la Sénélec ou les actions acquises
avec l'emprunt garanti par ces actions, permettront à ces financiers de
contrôler la Senelec à 50%, de même que les autres secteurs
(hydrocarbures, télécommunication, etc.) sur lesquels la Senelec est
entrain de mettre la main.
En attendant ce plan de privatisation, les milliards du
contribuable qui vont à la Sénélec finissent indirectement dans les
poches de quelques « chanceux ». Pour la fourniture de 300 Mw
d'électricité, la Sénélec paie à Jean Claude Mimran la somme de 50
milliards de francs par année, et cela pendant 20 ans. La location, de
gré à gré, d'une centrale de 40 Mw à Agreeco pour 1,2 milliards par
mois. Et, cerise sur le gâteau, toutes les publicités de la Sénélec,
qui en fait maintenant beaucoup, vont à Médiatic Afrique, filiale
karimienne de Médiatique, une société du 1er arrondissement de Paris
appartenant à un nouvel ami de maître Wade, Michel Bousquet.
Mais le plan est plus hardi. La
Sénélec nouvelle formule n'a rien à voir avec ce qu'ont connu les
franco-québecois Helio et Hydro. L'entreprise d'électricité a une
licence de communication qui lui permettrait, avec un dispositif
technique existant, de pouvoir utiliser ses câbles pour faire de la
téléphonie. Et comme par extraordinaire, un conflit est né avec les
distributeurs d'hydrocarbures comme Mobil et Shell. L'entreprise est
confrontée à des problèmes de d'approvisionnement qui vont aggraver les
délestages. Pour « venir à son secours », son « frère » Madické Niang
lui a octroyé une licence de distribution d'hydrocarbures pour qu'il
puisse directement s'approvisionner à la Sar. Le résultat serait une
crise au niveau des distributeurs, actionnaires à 90 % de la Sar, qui
serait une société à ramasser.
La Banque mondiale, qui n'approuve déjà pas les méthodes
utilisées s'en irait du secteur, et laisserait les consommateurs comme
proie aux charognards de l'alternance qui veulent tout prendre, tout
vider.