Une justice sénégalaise sous tutelle de Abdoulaye Wade
Les conditions de la libération de l'ex-premier Ministre et Maire de Thiès Idrissa Seck démontrent encore une fois la pression exercée et la main mise du Président Abdoulaye WADE sur l'appareil judiciaire. Lisez à ce propos le billet du journaliste MADIOR FALL de Sud Quotidien
Pression : « Ne pouvant faire de sorte que la justice soit forte, on fait de sorte que la force soit juste » (Pascal).
« L’interdiction » de toutes activités politiques pour le maire de Thiès, Idrissa Seck, libéré d’office par la Commission d’instruction de la Haute Cour de justice le mardi 7 février dernier à la suite d’un non-lieu partiel, décrétée non pas par le juge lui-même, mais par le chef de l’Etat, est inacceptable. Elle l’est d’autant plus, que l’édile de la capitale du rail, ex-Premier ministre du Sénégal jouit encore de tous ses droits civiques, parmi lesquels, l’expression libre et la possibilité de briguer le suffrage de ses concitoyens s’il le désire et si nous sommes encore en démocratie. Et jusqu’à plus ample informé, il n’est pas inscrit dans notre droit positif, la prohibition pour un simple mis en accusation même d’une accusation infamante qui qu’il soit, de toute possibilité de se présenter à des élections, si d’aventure l’envie lui prenait. Seul l’électeur est juge à ce sujet. Il s’y ajoute qu’une telle déclaration semble être une entorse flagrante à la présomption d’innocence que consacre notre droit positif. L’avocat Wade ne saurait ignorer en outre que la détention préventive n’est qu’exception en droit, la règle étant de comparaître libre devant la barre. Une exception à laquelle recourt la justice pour des besoins de protéger l’ordre public, de soustraire le mis en cause à la vindicte populaire, de l’empêcher de suborner d’éventuels témoins à charge contre lui, autrement la légalité républicaine et démocratique veut que tant qu’une sentence n’est pas prononcée par le juge, vous condamnant, vous restez un homme libre. Pouvant agir par conséquent comme tous les citoyens ordinaires et/ou « hors du commun ».
Cette sortie du président de la République, donnant son sentiment sur la libération de son ex-n° 2 et scrutant l’avenir politique de ce dernier, semble procéder plus d’un « équilibrisme » et d’une tentative de rassurer les troupes restées fidèles, que d’autre chose, ou à tout le moins d’une pression que l’on désire exercer sur l’édile de Thiès de sorte à l’amener à se tenir coi. Le président Wade a trop souffert de l’autoritarisme des pouvoirs précédents, s’est beaucoup battu pour l’élargissement des espaces de libertés et de démocratie pour qu’aujourd’hui, qu’il est au pouvoir, les libertés collectives et individuelles deviennent sujettes à caution. Que leur restriction soit la règle. Ce serait à désespérer des politiciens et de leurs déclarations. Sans compter que toutes ces institutions et organisations de par le monde qui se sont évertuées à lui décerner des prix et à lui tresser des lauriers pour son combat politique en faveur de la démocratie, de la liberté, de la justice et du développement pour son pays et pour son continent, l’Afrique s’en trouveraient assurément bernées.
Inacceptable également, le fait que l’on veuille simplement faire passer à perte et profit, la détention pendant six mois d’un homme qui n’eut le tort que de faire de la politique et d’étaler ses ambitions au sein de sa propre formation politique d’alors et dans son pays, au regard de ce que l’opinion connaît jusqu’ici des dossiers qui lui ont valu cette incarcération. Il arrive certes que les questions politiques cherchent réponses arbitrales au niveau de la justice, mais il est évident que celle-ci n’est pas forcément le meilleur juge pour les différends politiques qui peuvent survenir et surviennent souvent au sein des partis politiques et entre les partis politiques qui se partageant l’espace social.
En effet, il y a lieu d’observer, parlant des accusations infamantes de concussion et de corruption dans les fameux marchés de Thiès-2004 dont a fait l’objet Idrissa Seck, ainsi que l’ont fait remarquer les membres de la Commission d’instruction du juge Cheikh Tidiane Diakhaté, que les premiers bénéficiaires éventuels de ces surfacturations ne peuvent être que les entrepreneurs. Si même leur responsabilité était établie, il resterait à prouver comment Idrissa Seck a pu bénéficier sciemment des produits des surfacturations. Ne parlons pas maintenant de l’atteinte à la sûreté de l’Etat, accusation qui est tombée d’elle même, faute de preuves.
Certes, les Sénégalais ont besoin de connaître la « vérité, toute la vérité » sur les chantiers de Thiès-2004, comme d’être édifiés sur le comment les pouvoirs publics gèrent leurs deniers, fruits de leurs labeurs ou de subventions et dons faits à leur nom et pour eux par les pays amis et partenaires au développement. Si en effet, la Commission d’instruction en ordonnant un non-lieu partiel au pensionnaire le plus célèbre de l’année 2005 de Rebeuss, semble avoir mis un terme à un déballage sur la gestion des fonds politiques préjudiciable à l’image de l’Etat, il n’en demeure pas moins que celle-ci pose problème. Il est vrai comme le notent les juges, que l’utilisation des dits fonds relève de la seule discrétion du président de la République, ces fonds lui étant affectés par le législateur, mais leur montant ainsi que leur origine sont quand même réglementés. Chaque année, l’Assemblée nationale pendant le vote du budget, alloue un montant précis pour les fonds politiques destinés au chef de l’Etat ainsi qu’aux institutions ayant droit à cette opportunité et manne financière, placée en dehors des règles de la comptabilité publique. Or, il paraîtrait au vue des informations distillées ci et là, lors de l’instruction, que les caisses à ce niveau, étaient souvent alimentées autrement que par le trésor public et que les montants « officiellement » octroyés par le Parlement sont dépassés parfois largement, sans qu’aucune loi des finances rectificative ne vienne en matérialiser l’inscription. Ne parlons pas maintenant des bénéficiaires. A quel titre, l’Etat du Sénégal devrait rétribuer les emprunts d’un tiers, fut-il un citoyen sénégalais, à fortiori si c’est un étranger ?
Par ailleurs, la transparence qui est le corollaire de la bonne gouvernance n’est pas forcément synonyme de spectacle dont semblent friands les Sénégalais. Il s’agit par conséquent, sans être là une licence pour la mauvaise gestion, de faire plus droit à la discrétion institutionnelle et républicaine. L’unité se dissout quand la grandeur s’effondre. En outre et par ailleurs, il est heureux que le président de la République ait réaffirmé avec force l’indépendance de la justice qui, dans cette affaire, a paru prendre de sérieux coups, de la part d’une mauvaise publicité à elle, faite. Il s’y ajoute que, paraphrasant le philosophe Pascal, ne pouvant pas faire de sorte que la justice soit forte, faisons de sorte que la force soit juste.